Recherche Publié le 24/10/2018

Arnaud Buch est enseignant-chercheur au laboratoire de Génie des Procédés et Matériaux (LGPM) de CentraleSupélec. Sa recherche porte depuis près de 10 ans sur le développement d'instrumentations destinées à l'exploration martienne, d'abord pour la mission Curiosity en collaboration avec le laboratoire LATMOS (UVSQ) et la NASA et bientôt pour la mission Exomars de l'Agence Spatiale Européenne dont le décollage est prévu en 2020.

Arnaud Buch parle ici de ses travaux sur l'analyse du sol martien et des résultats importants obtenus grâce à l'instrument Sample Analysis at Mars (SAM) de Curiosity, et qui ont fait l'objet de 2 publications dans le prestigieux hebdomadaire scientifique Science à l'été 2018.

 

 

 

Arnaud, pouvez-vous nous expliquer comment vos travaux sont intégrés à la mission Curiosity ?

Mes travaux se sont concentrés sur l'expérience SAM, une suite instrumentale franco-américaine d'analyse de la matière organique du sol et des roches martiennes. SAM a été embarqué à bord de Curiosity, le rover martien de la NASA qui s'est posé sur la planète Mars en 2012 au terme de 8 mois de voyage. 

SAM est composé d'un chromatographe en phase gazeuse (GC), de fabrication française, d'un spectromètre de masse (MS), de fabrication américaine, ainsi que d'un spectromètre laser accordable (TLS), également américain, et principalement dédié à l'analyse du méthane et de l'eau. Les instruments peuvent fonctionner indépendamment ou de concert. Cette suite d'instruments est essentiellement dédiée à la recherche et la caractérisation des molécules organiques qui pourraient se trouver dans l'atmosphère et à la surface de Mars. Une cinquantaine d'analyses d'échantillons solides ont pu être réalisées depuis que Curiosity s'est posé sur Mars il y a plus de 6 ans, et encore plus d'échantillons atmosphériques.

Il faut savoir que l'intégration à Curiosity du GC, sur lequel j'ai travaillé en collaboration avec les laboratoires LATMOS (OVSQ) et LISA (UPEC- Créteil) a été un vrai défi humain et technologique. Humain car il a fallu pendant les 10 ans de développement de SAM garder une équipe de technicien, d'ingénieurs et de scientifiques soudée et prête à se déplacer régulièrement aux Etats-Unis, parfois en décision de dernière minute, pour coupler le GC avec les instruments américains. Technologique, car le développement d'instruments spatiaux implique de fortes contraintes que l'on ne rencontre pas souvent sur Terre, telles que la faible ressource en énergie (quelques watts), la miniaturisation liée aux limitations de poids et de l'espace disponible pour la charge utile, la résistance aux vibrations pour simuler le lancement par fusée, la propreté pour éviter toute contamination terrestre sur Mars, et bien d'autres encore. Une fois réalisé, le GC a d'abord voyagé de la région parisienne vers le Maryland (centre NASA Goddard Space Flight Center - GSFC) pour être intégré dans SAM, puis SAM a lui-même été intégré au rover Curiosity au centre NASA Jet Propulsion Laboratory (JPL) à Pasadena en Californie, avant d'être transporté vers Cap Canaveral en Floride pour le décollage le 26 nove​mbre 2011.

A partir de son atterrissage sur Mars le 6 Aout 2012, nous avons opéré le rover depuis Pasadena, et vérifié que tous les instruments fonctionnaient correctement. Cela a nécessité de vivre trois mois entiers aux heures martiennes, c'est-à-dire avec des journées de 24 h et 40 minutes. Ce décalage de 40 minutes quotidien par rapport aux journées terrestres nous amenait à travailler parfois de jour, parfois de nuit, toujours avec une même succession de réunions et de procédures. Actuellement, le rover n'est opéré plus que les 5 jours de la semaine de travail, en horaires terrestres. Pour sa part l'équipe SAM-GC française opère une semaine par mois l'instrument SAM depuis le centre de contrôle spatial (FIMOC) du CNES à Toulouse au CNES, et les procédures sont basées sur l'heure Californienne (-9 h par rapport à la France).

Depuis 2012 nous avons fait plusieurs découvertes majeures avec SAM, comme la détection de la première molécule organique complexe endogène à Mars : le chlorobenzène. Découverte qui a notamment donné lieu à un article, écrit par Caroline Freissinet (LATMOS, CNRS), ma toute première doctorante. Toutefois nous soupçonnons fortement que le chlorobenzène soit issu de la réaction entre une molécule martienne plus complexe mais non déterminée, avec des perchlorates martiens. Tout l'enjeu maintenant est d'identifier cette molécule martienne parente. Cette importante découverte a également incité notre équipe à revoir les résultats des missions Viking (1976) qui n'avait en apparence détecté que des composés organiques chlorés considérés à l'époque comme de la contamination terrestre. A la lumière de nos récentes découvertes il pourrait, en fait, s'agir de molécules martiennes ayant réagi avec des perchlorates martiens. ​

Deux articles publiés dans Science en 2018 font état d'importants résultats suite aux analyses effectuées par SAM. Pouvez-vous nous en dire plus ?

​Grâce aux échantillons atmosphériques recueillis et à leur analyse régulière par le spectromètre laser, un relargage de méthane suivant un cycle saisonnier a été détecté dans l'atmosphère martienne. Or, dans ces conditions, le méthane est normalement détruit au bout de quelques centaines d'années. Il y a donc une source contemporaine de méthane sur Mars dont l'origine reste à déterminer, et dont le relargage dépend de la température ; plus en été, moins en hiver. Le second résultat porte sur la détection de molécules organiques soufrées provenant d'un environnement lacustre, le cratère Gale, datant de 3,5 à 3,8 milliards d'années. Quelle que soit l'origine de de la matière organique détectée par nos analyses, cela signifie que les conditions propices au développement de la vie étaient réunies dans cet endroit au moment où la vie apparaissait sur Terre. Contrairement au résultat de méthane qui fait parler Mars moderne, ce résultat de molécules organiques soufrées fait parler Mars ancienne. Elle nous permet également de concevoir plus précisément comment les molécules peuvent être préservées sur des échelles de temps géologiques, et dans quel type d'environnement et de minéraux on aura le plus de chances d'en détecter lors des prochaines analyses et des prochaines missions martiennes comme ExoMars2020.